Suppression du droit d’émission : des pertes fiscales, mais pas de nouveaux emplois ni d’investissements

Blog Daniel Lampart

D’ici 2023, la Suisse aura à se prononcer sur deux grands projets de politique fiscale et de prélèvements obligatoires. Ils seront décisifs pour la population et l’économie. Il s’agit d’une part de l’impôt minimum décidé sous l’égide de l’OCDE, et d’autre part des subsides aux primes d’assurance maladie. Dans aucun des deux cas, l’échec n’est permis. La suppression du droit de timbre d’émission, sur lequel nous votons le 13 février, n’a donc aucunement sa place dans le paysage. Sur la base des expériences faites jusqu’ici, on peut affirmer que cette abolition n’aura pour effet que de réduire les recettes fiscales. Les innombrables nouveaux emplois et investissements ne seront pas au rendez-vous, contrairement à ce que annonce le conseiller fédéral Ueli Maurer.

Dans le camp du oui, on affirme par exemple qu’avec la suppression du droit d’émission, la création de petites entreprises (« start-up ») augmentera. Ces sociétés n’auront plus besoin de s’acquitter de cette contribution et pourront injecter ces fonds dans l’entreprise. Mais y a-t-il vraiment eu plus de créations d’entreprises après que le droit d’émission a été abaissé par le passé ?

Les statistiques des créations d’entreprises n’existent malheureusement que depuis 2001. En 2006, la franchise pour le droit d’émission a été relevé de 250 000 francs à un million. Le droit de timbre n’est donc prélevé que sur une levée de capital propre qui dépasse le million de francs, une mesure supposée bénéficier aux plus petites entreprises. Si les gens qui veulent supprimer le droit d’émission avaient raison, il aurait dû y avoir – logiquement – plus de créations d’entreprises après 2006. Mais les statistiques disponibles indiquent tout autre chose : le nombre de nouvelles entreprises n’a pas augmenté après la modification de la franchise. Tout ce que l’on constate, c’est une baisse des recettes issues du droit d’émission.

Pourquoi cette absence d’effet sur la création d’entreprises ? Il y a plusieurs explications. La levée de fonds propres représente un effort considérable pour une entreprise. Elle nécessite notamment des démarches juridiques qui occasionnent passablement de travail et donc un coût qui peut facilement se situer entre 5 et 10%. Le droit d’émission de 1 % (après franchise d’un million) est assez insignifiant en comparaison. Lors de la levée de capitaux, de nombreuses entreprises renoncent à l’émission de nouvelles actions et misent sur des prêts d’actionnaires. Ce mode de financement est beaucoup plus souple. Enfin, il faut se rappeler qu’actuellement, le capital est disponible en grande quantité, comme le montrent les taux d’intérêt nuls et les cours très élevés des actions.

Le bilan des abaissements du droit de timbre d’émission n’est pas meilleur en ce qui concerne les investissements des entreprises. Le taux du droit de timbre a déjà été réduit deux fois, de 3% à 2%, puis de 2% à son taux actuel de 1%. Si cette mesure avait encouragé les investissements financés par du capital propre, cela devrait se voir dans les recettes fiscales. Or, à chaque baisse de taux, les recettes du droit de timbre d’émission n’ont fait, elles aussi, que de diminuer.

La suppression du droit de timbre d’émission fait perdre inutilement de l’argent à la Confédération, argent qu’elle pourrait utiliser pour réduire les primes d’assurance-maladie. Pire, elle nuit à la confiance de la population dans la politique fiscale, en accréditant l’idée que celle-ci ne sert que les intérêts des entreprises et des détenteurs de capitaux. Dans la perspective des deux enjeux stratégiques que sont la résolution du problème du poids des primes sur le revenu des ménages et de la mise en œuvre de l’impôt minimal décidé par l’OCDE, l’abolition du droit de timbre est dangereuse et donc malvenue. Il faut lui opposer un refus clair.

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